Au feu Les Combustibles ? (Chronique littéraire)
- Rhéa-xion
- 2 mars 2020
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 2 déc. 2020

Entre deux lectures à peine commencées, je me suis fait gentiment prêter cette pièce de théâtre d’Amélie Nothomb qui va faire ici l’objet de ma première critique littéraire.
C’est un livre très fin, de poche, habillé d’une médiocre image de couverture dont l’esthétique est vraisemblablement à revoir, représentant deux livres ouverts mal incrustés sur des flammes. On l’aura deviné, ce n’est pas la couverture qui a attisé ma curiosité. Non, à vrai dire, c’est en connaissant préalablement le sujet de la pièce, résumée selon les souvenirs de mon ami prêteur, que mon intérêt pour l’objet s’est éveillé.
En quelques mots : lors d’une terrible guerre meurtrière, trois personnages, Daniel, Marina et Le professeur, souffrent affreusement du froid glacial hivernal. Après avoir brûlé, chaises, tables et autres combustibles pour alimenter un feu hautement convoité, la très grande et fournie bibliothèque du Professeur semble être la dernière solution. Hé oui ! Quoi de mieux que les pages d’un livre pour faire jaillir de nouveau les flammes du foyer ? La question se pose alors à eux : Lequel brûler en premier et lequel en dernier ?
D’abord, moi qui collectionne les livres, tant bien que mal, dans les quelques bibliothèques qui peuplent le foyer familial, moi qui ai toujours un mal terrible à faire le tri et à m’en débarrasser, même quand un bouquin est en double, j’ai tout de suite été attirée par ce pitch dont le sujet est la remise en question de la valeur de ces précieux objets. D’autre part je n’ai pu m’empêcher, après avoir pris connaissance de ce résumé alléchant, de faire le rapprochement avec le début du célèbre Don Quichotte de Miguel de Cervantes. Ce moment où la nièce de l’extravagant protagoniste, le barbier et le curé décident de mettre au feu tous les livres de Don Quichotte afin qu’il ne puisse plus avoir accès aux romans de chevalerie qui l’ont conduit à un état de démence irréaliste et inquiétant. Jusqu’à ce que le curé, plus fragile à l’idée d’un autodafé total, suggère d’étudier, au préalable les titres des ouvrages afin de vérifier si certains demeurent sauvables.
Mais je ne vais pas maintenir le suspense plus longtemps. Je préviens par avance que la pièce de Nothomb, une autrice qui par ailleurs avait jusque-là su combler mes attentes, n’a pas maintenu mon intérêt... Il y a fort longtemps maintenant que j’ai lu Métaphysique des Tubes, qui m’a valu la découverte de l’auteure, véritable nid d’humour philosophique sur la perception qu’elle a des premières années de sa vie. Et je pèse mes mots ! On parle bien de l’an 0 jusqu’à l’âge de 3 ans ! Cette façon cynique qu’elle a de dépeindre sa naissance, de comparer le nouveau-né qu’elle était, à un « tube digestif inerte et végétatif dont les activités se bornent à ses besoins primaires ». En somme, un roman lesté d’une vérité insolente caressant de sincères questions existentielles, telles la foi, la famille, la vie… du point de vue d’un tube. Outre ce roman préambule à une bibliographie désormais bien garnie, Stupeur et Tremblements, et Barbe bleue, deux autres romans qui ont participé à la renommée littéraire de l’auteure, ont tous deux été joyeusement dévorés par mes soins. C’est pourquoi, le désir irrépressible d’exprimer la contrariété qui me brûle, vis- à-vis de cette toute dernière lecture des Combustibles, trouve sur les quelques pages de ce blog, un assouvissement certain. Mais, à l’instar de votre indulgence envers moi qui m'initie tout juste à la critique littéraire, je reste indulgente envers elle, qui a écrit cette pièce en 1994, alors qu’elle était encore tapie dans l’ombre et méconnue du public.
Cependant m’emparant de la plume, ou plus honnêtement, du clavier, ici, dans le but d’expliquer mes joies et mes tourments culturels, je ne vais pas étendre cette introduction plus longtemps, bien qu’elle ait été nécessaire à la bonne réception de l’analyse et je vais de ce pas entamer le cœur du sujet. L’un des aspects qui m’a le plus déçu en lisant la pièce, accoudée à la fenêtre de mon RER, et peut-être, sans doute même, est-ce l’aspect le plus subjectif, puisque cela témoigne en fait des attentes que j’avais au préalable, est la mention des ouvrages de la bibliothèque du Professeur. Le sujet principal, en somme.
J’admets que c’est une pièce de théâtre et non un essai philosophique ni une critique littéraire, mais il est vrai que j’espérais trouver dans ce petit livre, une réflexion, pouvant se rapprocher, non nécessairement de manière qualitative mais plutôt dans le fond, des dialogues de Platon ou de Denis Diderot, dans Jacques le Fataliste, par exemple. Je reconnais donc qu’une grande partie de mon désappointement est dû à cette perspective anticipée de ma part. Je m’attendais à ce que l’auteure ait eu l’audace ou l’envie, de faire un état des lieux de notre littérature avec un grand « L ». Celle de notre univers réel, en citant quelques grandes et plus petites œuvres, que chacun d’entre nous possède dans son petit bagage culturel. Sans doute, est-ce là un travail monstrueux qui n’était visiblement pas le but de cette petite comédie. Alors, lorsque j’ai lu, noir sur blanc, en italique, mentionnés le « bal de l’observatoire » de « Blatek », « L’honneur de l’horreur » de « Kleinbettingen » ou encore les « Combats éternels » de « Sterpernich », j’ai aussitôt ressenti une faille dans mon humble culture littéraire, et j’ai donc fait, ce que l’on sait tous faire au XXIème siècle : googler ces titres et ces noms à la tonalité allemande dans l’espoir d’y trouver les fiches Wikipédia ! Mais autant de Blatek et de Sterpernich inconnus au bataillon. La désillusion opéra immédiatement. Tout n’est que fiction. Point d’Honneur de l’horreur mais bien l’horreur du vide. Il n y a pas de mal à faire de la fiction me direz – vous ! Inclure des livres imaginaires dans une fiction, est d’ailleurs sans doute une chose somme toute bien naturelle. Mais si ces ouvrages fictionnels avaient au moins la présence d’esprit d’être des métaphores d’ouvrages connus, cela aurait pu maintenir un intérêt. Mais en continuant ma lecture, j’ai dû m’apercevoir qu’il ne sera jamais question du sujet de ces mystérieux livres inexistants ! Ces personnages qui se battent pour savoir quels livres mettre au feu, ne s’attardent jamais sur ce qu’ils ont pu leur apporter ! Alors voilà où le premier véritable problème s’est posé à moi. A quoi bon ? Certes, il y a quelques passages, très courts, où les personnages évoquent de réels ouvrages. Lorsque le professeur explique que dans Fahrenheit 451 « les gens apprennent les livres par cœur parce que le gouvernement va détruire tout ce qui est écrit. » pour affirmer que c’est une insanité, qu’il est impossible d’apprendre par cœur "Kleinbettingen", ( non, pas la section de Steinfort au Luxembourg mais un des nombreux auteurs fictifs de la pièce), Daniel, l’étudiant, répond pour contredire que « Les aèdes récitaient l'Iliade et l’Odyssée sur le bout des doigts ». Ces deux répliques qui soulèvent un peu plus de profondeur, prouvent bien qu’il aurait sans doute fallut plus de mentions de ce genre. Le fait de citer ces ouvrages, sans les inclure dans la bibliothèque du professeur, ne lui accordant qu’une bibliothèque fictive, est sans doute un acte volontaire de la part de Nothomb. C’est un parti pris que j’aurai volontiers apprécié et trouvé justifié, si celui – ci s’était plus étendu, s'il y avait deux camps, celui de la bibliothèque du professeur et celui de nos bibliothèques, à nous, lecteurs.
En réalité Nothomb a décidé de ne pas prendre de parti, et c’est bien là ce qui me chagrine. La pièce se résume finalement à un triangle amoureux entre le professeur, Marina et Daniel, composé de dialogues ironiques sur l’amour, la guerre et le froid. Les livres hantent la pièce comme une matière organique plus que métaphysique et intellectuelle. Mais ne pose en fait aucune question sur la littérature.
Nous reconnaissons bien le style humoristique de l’auteure, qui réussit tout de même sur ses quelques pages à donner vie à ses personnages et rendre certains dialogues amusants, mais c’est en fait, tout ce que je retiens du livre. Car c’est tout ce qu’il y a à retenir : Un professeur foncièrement antipathique qui ne cesse de rappeler que l’exercice de sa profession n’a été qu’un amas d’hypocrisie envers ses élèves. Une Marina, plutôt lucide et quelque peu machiavélique qui n’hésite pas à donner son corps pour un peu de chaleur vitale. Et un Daniel, niais et crédule qui se met à détester le professeur qu’il avait tant admiré. Dans ce huis-clos, trois personnages tentent de survivre à une guerre, en se faisant la guerre.
"Tout le monde a répondu une fois dans sa vie à la question : quel livre emporteriez-vous sur une île déserte ? Dans ce huis clos cerné par les bombes et les tirs des snipers, l’étincelante romancière du Sabotage amoureux pose à ses personnages une question autrement perverse : quel livre, quelle phrase de quel livre vaut qu’on lui sacrifie un instant, un seul instant de chaleur physique ?"
Voilà ce que j’appelle une quatrième de couverture mensongère. J’avais ouvert ce livre pour que l’on me parle de livres, je voulais de l’or, on m’a donné du plaqué. Alors non, je ne mettrais pas au feu Les Combustibles, car il n y a pas que du mauvais. C’est un bon divertissement à lire au coin du feu, ou peut – être à voir sur scène, pour passer le temps.
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